Planche : la porte basse (Delphine)

La Porte Basse
V.˙. M.˙. et vous tous, mes frères et sœurs, en vos degrés et qualités.

C'est le sujet de la porte basse qui m'a été attribué pour réaliser ma première planche de travail en tant qu'apprentie.

Bien sûr, comme n’importe lequel d’entre nous, je suis passée, durant mon initiation, par l’épreuve de la porte basse.
Cette dernière, je dois bien l’avouer, m’a posé quelques problèmes, ceci-dit, je ne pense pas être la première ni la dernière. Je ne peux que m’appuyer sur mon expérience personnelle, n’ayant pas encore assisté à une initiation autre que la mienne.
Le choix de ce sujet, me concernant ne m’a pas vraiment surprise, vous comprendrez pourquoi à la fin de ce travail.

C'est lors de notre première entrée dans le Temple que nous y avons affaire.

Selon Claude GUERILLOT, « toutes les voies initiatiques guident l’Homme vers le respect de lui-même et de l’autre ».

Commençons par définir le sujet.

Dans la vie de tous les jours, une porte établit la limite entre l’extérieur et l’intérieur. Elle peut être fermée ou bien ouverte, son fonctionnement est donc double : celui de l’arrivée et du départ. Elle représente pleinement une expression d’un système binaire, possédant ainsi deux faces, externe et interne, elle sert donc à passer d’une face à l’autre.

En maçonnerie, la porte établit la limite entre le monde profane et le sacré, elle protège le Temple et ses membres de toute intrusion avec l'aide du frère ou de la sœur couvreur.

Lors d’une initiation nous sommes avant tout dépouillés de tous nos conditionnements terrestres, c’est ce qu’on appelle le « dépouillement des métaux ».
Concrètement, la première porte à laquelle le récipiendaire fait face est celle du cabinet de réflexion, aveuglé par le bandeau et la cagoule, elle est rapidement refermée et nous nous retrouvons alors seul face aux éléments présents dans cette pièce, mais surtout, face à soi-même. Ce sera le point de départ de notre travail sur Soi.
Nous sommes ensuite physiquement préparés en vue du passage de la porte basse ainsi que de la suite du rituel ; épaule gauche nue, pied gauche dépouillé de sa chaussure et chaussette ensuite placé dans une pantoufle, genou droit dénudé, une corde autour du cou, toujours avec bandeau et cagoule. Nous sommes ainsi privés, encore une fois, du sens de la vue afin de stimuler celui du toucher.
Chaque candidat sera préparé de la même manière, peu importe son rang social ou son passé, ceci permettant d’établir une base égalitaire entre tous.

La porte basse est le symbole d'un passage volontaire entre deux états : du connu vers l'inconnu, des ténèbres du profane vers la lumière de l'apprenti maçon, un avancement vers la connaissance. En effet, l'important ne réside pas dans l'ignorance de ce que l'on est mais plutôt dans la reconnaissance de ce que nous ne sommes pas.

Elle ne peut être franchie que lorsque le récipiendaire est reconnu « libre et de bonnes mœurs, aveugle et cherchant à trouver la lumière de son Soi intérieur ».
L’aspect volontaire de la démarche est très important dans l’esprit maçonnique, en effet l’on dit que, si on demande, on reçoit, mais on ne peut recevoir que si l’on demande, rien ne vient seul et tout nécessite une démarche de recherche.
D’après AMBELAIN, « l’Homme est le résultat d’un long processus ontologique ». L’ontologie est une partie de la philosophie qui traite de l’être indépendamment de ses déterminations.
À un moment donné, l’être humain se retrouve bloqué, il ne peut continuer à avancer que si d’autres, qui ont déjà franchi ce blocage avant lui le guident, l’aident. Je suis convaincue que nous possédons toutes les clés nécessaires à notre chemin de vie, cependant, nous avons besoin d’un coup de pouce pour identifier celles qui dont on a besoin en temps voulu. C’est dans ce mécanisme que l’on retrouve la définition du travail commun en loge et c’est ce qui implique que le rite fonctionne sur un système de passage de degrés et de grades progressifs.
Lors de mes recherches, une divinité latine est ressortie à maintes reprises, Janus. Il était le gardien des portes du ciel et du domaine des Dieux, ce qui lui conférait un double visage à la fois tourné vers l’avenir et vers le passé. Le symbole de cette divinité a donné naissance aux fêtes de la Saint Jean, représentant le solstice d’été et celui d’hiver, elles sont toutes deux très importantes en maçonnerie.
La porte basse est située à l’occident, là où le soleil se couche, entre les colonnes J et B du Temple.
Nous la retrouvons associée à la porte étroite du Nouveau Testament, dans l’Évangile selon Saint Luc, chapitre 13, verset 24 à 29, dont voici un extrait qui a attiré mon attention : « Efforcez-vous d’entrer par la porte étroite. Car je vous le dis, beaucoup chercheront à entrer mais ne le pourront pas. […] Il en viendra de l’orient et de l’occident, du nord et du midi ».
Si nous faisons abstraction du point de vue biblique, nous pouvons remarquer l’utilisation de termes et symboles usités dans le lexique maçonnique, tels que : les notions de porte difficile de passage, puis, les notions d’orient et d’occident ainsi que celles du nord et du midi.

Ce symbole de porte étroite est universel. Nous pouvons le retrouver chez les « dresseurs » de mégalithes, les indiens du Pérou et les constructeurs des grandes pyramides en Égypte
Lors de mes recherches à ce sujet j'ai trouvé des textes disant que, pour les Alchimistes, la porte donne accès à la connaissance, ce qui a directement réveillé en moi les souvenirs du livre de Paulo COELHO « l'Alchimiste » que mon frère Philippe m'a prêté en me conseillant de le lire.

Dans ce dernier, un homme entreprend de tout quitter, confort, habitudes… afin de partir à la recherche d’un trésor… DU trésor de sa vie.
Son chemin est parsemé d’embûches et met sa détermination à rude épreuve. Il cherche alors l’Alchimiste qui pourra lui révéler où ce trésor se cache. Au fil de ses aventures, il est guidé par un homme sage et finit par découvrir que le plus précieux des trésors est l’acquisition de la connaissance, avec un grand C, et non de biens matériels.
C’est en Égypte, au pied des grandes pyramides qu’il découvre enfin ceci et devient Alchimiste à son tour.
Après tout, ne serions-nous pas, nous aussi, des Alchimistes en herbe, à la recherche du trésor de l’apprentissage et de la connaissance ?…

Un trésor un peu plus matérialiste fut, lui aussi, découvert au pied des grandes pyramides en 1954. Il s'agit de celle de Khéops. En effet, au cours de travaux réalisés, une barque solaire a été retrouvée, elle y était enfouie depuis au moins 4500 ans.

L’usage des barques solaires est très courant dans la mythologie égyptienne ; la plus vulgarisée est celle du Dieu Soleil, Rê. Ce dernier voyageait sur le Nil durant les douze heures de la nuit (le royaume des morts) dans une barque nommée mesektet en vue d’effectuer le passage des âmes des morts.
L’esprit de ces derniers devait franchir toute une succession de portes et devait reconnaître la déesse représentant chacune d’entre elles. S’il échouait, le défunt se voyait condamné à errer dans le lac de feu.
Pour mener à bien son trajet, Rê combat contre les forces du chaos dont le représentant le plus puissant est un serpent portant le nom d’Apophis. Pour ce faire, il est aidé par d’autre divinités, dont Seth, l’accompagnaient sur mesektet.
Durant la dixième heure de son voyage, treize singes armés de filets l’aident à charmer Apophis, ce dernier se soumet symboliquement lors de la onzième heure.
Lorsque le soleil naît à l’orient, Rê entame alors son voyage diurne à bord d’une autre barque nommée mandjet et ce, jusqu’au coucher du soleil à l’occident où il recommencera son travail nocturne. Ce cycle inlassable et perpétuel n’est pas sans rappeler le cycle de la vie et de la mort, nous retrouvons, là encore, le caractère binaire de la vie.

Mais quelle symbolique peut-on tirer du passage de la porte basse ?

Généralement, cette épreuve demande au récipiendaire de se courber généreusement. Le passage de cette porte se veut difficile et laborieux, à travers un petit espace. Ceci nous appelle à comparer alors ce moment aux efforts que doit faire un bébé lors de sa mise au monde, replié en position fœtale et faisant de son mieux pour sortir de l’utérus de sa mère lors de l’accouchement. Cette épreuve revêt le symbole de l’INITIO (terme latin), correspondant au commencement et donc au début d’une nouvelle vie, une renaissance.
Le fait de repartir à zéro fut ma première interprétation.
Cependant, nous savons que là où il y a de la vie, il y a la mort aussi, nous retombons ainsi sur la notion de binarité. De plus, cette association d’idées me rappelle immédiatement le premier breuvage ingéré durant mon initiation, celui étant présenté comme provoquant la mort de son Soi profane en quête de transformation en néophyte et apprenti.
Avant de passer cette porte, nous plongeons la main dans la terre sacrée d’Égypte Aussi j’en suis arrivée à établir une nouvelle analogie. Toute nouvelle plante a besoin en tout premier de terre, ensuite d’eau, de chaleur et d’air. Nous retrouvons là toutes les étapes par lesquelles l’apprenti a voyagé et s’est reconstitué un corps composé des quatre éléments, il aura un éveil de ses sens dans cette nouvelle matrice, mais à l’instar du placenta laissant le fœtus dans le noir, celle-ci sera lumineuse.
Sa mission sera désormais de faire bon usage de la lumière qui nous est offerte.

J'avoue avoir été étonnée lorsque j'ai lu que, pour certains récipiendaires, ce passage est psychiquement difficile, leur ego se trouvant heurté à l'idée de devoir courber l'échine et ainsi faire preuve d'humilité sincère, j'ai été étonnée parce que cela n'a pas été mon cas.
Personnellement, cette épreuve a été délicate parce que je ne savais pas à quel point je devais me baisser, à tel point que je me suis prise ladite porte dans le front.

Au fur et à mesure que j’entendais « baisse toi encore ! Plus bas ! », je pensais le faire, mais je semblais toujours trop haute. Je me suis donc retrouvée dans une position relevant plus d’un exercice de commando que de celle d’un fœtus… Cela faisait de moi un bien drôle de « nouveau-né » tiens !
Une des leçons que j’ai pu tirer de cette planche, dans laquelle j’ai lu maintes et maintes fois qu’une porte sert à verrouiller un espace, est qu’une porte peut aider à se protéger en cloisonnant un peu de contenu devant rester privé.
Ceux qui me côtoient depuis un bout de temps s’accorderont tous à me qualifier de parfaite bazarette, comme on le dit dans le sud.
Ce côté bavard et ma naïve aisance à accorder assez facilement ma confiance aux autres m’a parfois… bon, souvent en fait, joué des tours.
Ainsi, je pense que ma sœur seconde surveillante avait dans l’optique de m’ouvrir les yeux à ce sujet…
Certes, je ne changerai pas ma nature profonde, mais je peux cependant travailler sur cette idée de création d’un jardin secret.

À distance de cette journée et avec un peu de recul, je peux désormais interpréter, ou du moins, essayer de comprendre quelles ont été mes propres difficultés concernant la porte basse.
Comme le savent déjà les frères et sœurs qui me connaissent un peu mieux maintenant, ma vie n'a jamais été un long fleuve tranquille ; des problèmes familiaux, une relation toxique, des soucis de santé... Et j'en passe ! Cet ensemble de tracas ont entraîné chez moi une certaine appréhension à l'idée de devoir repartir à zéro, mais toujours avec cette furieuse envie de me battre.

Ce passage de porte m’a fait comprendre, un peu plus que je ne l’avais déjà deviné, que je dois à présent avancer dans ma vie future en laissant tous ces événements traumatisants derrière moi.
Paradoxalement, franchir ce seuil bas m’a appris que je dois passer au-dessus de tout ça, se baisser pour aller plus haut en quelque sorte.
J’ai conscience que l’on a constamment une porte basse à franchir et que chaque erreur que je commets, poussera mon amour propre à repasser continuellement cette épreuve. Mais, comme me l’a toujours appris ma mère, quand on tombe, on ne peut que se relever.

Depuis que j'ai été initiée, j'ai pu constater plusieurs changements me concernant.

Finalement, c’est peu de temps après avoir dû dire subitement adieu à ma tendre maman, mon pilier durant mes 31 premières années, me retrouvant ainsi perdue et « sans famille », que j’en ai trouvé une de substitution, prête à m’accueillir à bras ouverts.
Passer d’une terrible perte à une trouvaille réconfortante. Moi, fille unique pendant trois décennies (ça ne rajeunit pas!), je dois maintenant m’habituer à l’idée que j’ai des frères et sœurs qui seront présents pour m’épauler et m’encourager.

Cette porte séparatrice s'est donc révélée devenir une articulation commune avec ma famille maçonnique.

La roue aurait-elle déjà commencé à tourner ?
J’en suis convaincue !

J’ai dit V.˙. M.˙.
D.˙. G.˙. 06/2020